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Julien lemarchand

[Entretien] Julien Lemarchand, responsable des entrepreneurs du Jeu Video chez Neuflize OBC

Julien Lemarchand est Responsable des entrepreneurs du Jeu Vidéo chez Neuflize OBC. Il accompagne une vingtaine de studios et d’éditeurs dans le développement de leurs activités. Il nous livre aujourd’hui sa vision du secteur des jeux vidéo en progression chaque année malgré la crise.

Le secteur du jeu vidéo semble avoir particulièrement bien résisté à la crise. Qu'en pensez-vous ?

C’est vrai si l’on raisonne au niveau du marché global du jeu vidéo. Les ventes mondiales de jeux vidéo sont en progression continue depuis 10 ans, mais l’on s’attendait à un léger repli sur 2020 en raison de la sortie en fin d’année de la nouvelle génération de consoles. Au final, l’année 2020 sera elle aussi en croissance car, malgré la période de confinement, les ventes ont battu tous leurs records entre mars et mai 2020 avec une hausse de +15% en moyenne. La raison de ce succès est simple : le jeu vidéo est un divertissement particulièrement adapté aux contraintes imposées par la crise sanitaire. Effectivement, on l’achète de plus en plus souvent en ligne et il se consomme par nature à domicile. Par ailleurs, certains d’entre eux sont dotés d’une forte dimension sociale et les Français en avaient particulièrement besoin au deuxième trimestre.
 
Dans les faits, ce sont les éditeurs qui ont le plus bénéficié de cette période euphorique, car ils sortent généralement plusieurs jeux par an et captent la majorité des recettes d’exploitation avant d’en reverser une partie aux studios qui ont développé le jeu. En particulier, ce sont les poids lourds de l’industrie qui se sont taillés la part du lion : Nintendo (avec la sortie du hit « Animal Crossing : New Horizons » sur Nintendo Switch), Epic Games (avec « Fortnite »), Activision Blizzard (avec « Call of Duty : Warzone ») ou encore Bethesda (avec « Doom Eternal »), studio depuis racheté pour 7,5 milliards $ par Microsoft. Les éditeurs indépendants ne sont pas en reste et ont régulièrement constaté des ventes en hausse de 150 à 200 % par rapport à leurs estimations initiales.
 
En revanche, les studios de développement, qui produisent souvent un seul jeu vidéo sur plusieurs années avant de confier sa commercialisation à un éditeur, n’ont pas bénéficié de cette aubaine. Au contraire, ils ont du s’organiser rapidement pour maintenir leur niveau de production à distance et ainsi tenir le calendrier de fabrication et de livraison de leur jeu. Dans la majorité des cas, il y sont parvenus.

Avez-vous identifié de nouveaux acteurs à fort potentiel ? Comment se sont-ils distingués pendant cette période ?

Oui, mais ce n’est pas nécessairement lié au contexte économique issu de la crise sanitaire. Depuis 3 ans, je constate que les studios indépendants, même jeunes, parviennent plus facilement à financer la production de leurs projets. Certains sont même courtisés par les éditeurs, et parfois directement par les plateformes et les fabricants de console. Enfin, ils parviennent à négocier des conditions financières plus favorables, avec la perception d’une quote-part des recettes plus importante et l’absence de partage de la propriété intellectuelle du jeu.
 
Ce rapport de force plus équilibré est, entre autres, le résultat de la guerre commerciale entre les fabricants de consoles (Nintendo, Microsoft, Sony) et les plateformes de distribution (Steam, Epic Games Stores, Google Stadia, Apple Arcade). Leur objectif est de se constituer un catalogue de contenus exclusifs en contrepartie du versement de primes importantes au studio et à l’éditeur. Ainsi, le studio, qui est à l’origine de la création du contenu, devient un maillon stratégique de cette chaîne de valeur. On assiste donc d’un côté à une vague de rachats de studios par des éditeurs (pour contrôler la création de contenus) ; et de l’autre côté à une résistance de certains studios privilégiant l’autoédition, lorsqu’ils en ont les moyens financiers et opérationnels.
 
Le marché du « indie games » est un segment particulièrement intéressant. Ils s’agit de jeux vidéo indépendants développés par une petite équipe avec un budget raisonnable (quelques centaines de milliers d’euros contre plusieurs dizaines de millions pour les blockbusters). Les studios à l’origine de ces productions artisanales se multiplient et ce segment représente déjà 15 milliards de dollars sur les 120 milliards de dollarss produits par le secteur. Pour la première fois, un jeu indépendant, « Untitled Goose Game », a remporté en 2019 le Dice Award, (équivalent des oscars du jeu vidéo). Fort de leur succès, les indie games sont largement mis en avant sur les boutiques en ligne et les plateformes ; ainsi, 90% des mises en avant de Apple Arcade concernent des « indie games ». Certains éditeurs se sont spécialisés sur ce segment et ont un développement fulgurant aux côtés de studios partenaires avec qui ils entretiennent des relations fidèles.

Si vous deviez revenir sur un exemple de gestion inédite adoptée par l'un de vos clients ou acteur du marché, lequel serait-il ?

Rien de très spectaculaire ne me vient à l’esprit. Néanmoins plusieurs studios m’ont agréablement surpris par leur abnégation pendant cette période très particulière. Par exemple, le dirigeant d’un petit studio a réussi à boucler une levée de fonds de 2 millions d’euros auprès d’investisseurs réputés pendant le confinement et sans accompagnement d’un conseil en M&A.
Un autre studio créé au début du confinement est parvenu à démarrer son activité après le déménagement de toute son équipe à Montpellier.
 
Je pense également à un éditeur de jeux sur mobile qui a réussi à mener à bien un processus de vente à un industriel étranger pendant la période de confinement, avec un closing en juin. Enfin, un gros studio parisien est parvenu à déployer en quelques jours 200 postes de travail à distance via le service cloud d’Amazon, AWS. Cette réorganisation efficace a permis aux équipes de continuer la production de plusieurs jeux sans incidence notable

Quels seront selon vous, les impacts de la crise sur le secteur et sur son organisation à long terme ? Quels sont les challenges à affronter pour se réinventer ?

La démocratisation du télétravail, déjà répandue dans le secteur du jeu vidéo, s’est accélérée à marche forcée pendant la période de confinement. Les défis pour les studios de développement sont multiples. Le premier est technologique. Il dépend de la taille des équipes et de l’ambition du jeu vidéo en cours de développement. Pour des studios indépendants, cet enjeu technologique sera inférieur à celui d’un studio de développement de jeux AAA (les blockbusters), qui sera confronté à des problématiques complexes de bande passante et de sécurité des données.
 
Le deuxième défi est opérationnel. Un studio utilise des compétences qui sont à la fois créatives, techniques et managériales et ces lignes de métiers sont toutes interdépendantes dans la fabrication progressive du jeu. Dans ces conditions, la clé pour maintenir une fluidité opérationnelle à distance réside dans la complicité qu’ont réussi à développer les équipes entre elles. Le défi principal consiste donc à trouver un moyen efficace d’intégrer les nouveaux recrutements. Cela passe sans doute par la mise en place d’outils de communication performants, mais également par le maintien d’un lien physique sur site.
 
Le dernier défi est humain. Comme dans d’autres secteurs, les jeunes actifs privilégient les employeurs en mesure de leur offrir un équilibre entre leurs vies professionnelle et  personnelle. Dans le monde du jeu vidéo, la tradition du crunch (rush de bouclage), encore présente chez les générations plus expérimentées, ne semble plus de mise. Les studios où il fait bon travailler auront ainsi un avantage compétitif dans le recrutement des nouveaux talents.
 
Je suis confiant sur la capacité des sociétés du secteur à relever tous ses défis, car elles évoluent dans un environnement ultra-compétitif et donc par nature exigeant. Pour exister durablement, un studio doit constamment parvenir à s’adapter, à innover et avoir une longueur d’avance sur ses concurrents. En revanche, il est nécessaire que les pouvoirs publics continuent de les accompagner par le renforcement des dispositifs de soutien en place. Les studios de développement indépendants, parfois encore fragiles, jouent en effet un rôle moteur dans le dynamisme de l’industrie du jeu vidéo en France.

Julien Lemarchand est titulaire d’un master en Finance d’Entreprise (PGE 09 Neoma Business School). Il rejoint en 2010 le département Production de l’Image de la Banque Neuflize OBC en tant qu’analyste crédits, puis que banquier Entreprises. Il accompagne les entrepreneurs du cinéma, de l’audiovisuel et de l’animation sur leur problématiques de financement. Depuis 2015, il développe une expertise sectorielle spécifique au secteur du jeu vidéo et accompagne aujourd’hui une vingtaine de studios et d’éditeurs.

Julien Lemarchand

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