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Philip Bourgeois

[Entretien] Philippe Bourgeois, Responsable de l’accompagnement des entrepreneurs du secteur Internet chez Neuflize OBC

Les nouvelles technologies se sont révélées être des outils essentiels pendant la crise sanitaire et économique. En effet, leur taux de pénétration dans la population a connu une incroyable accélération dans les entreprises comme dans l’espace public : visioconférence, paiement sans contact, réalité virtuelle, objets connectés (caméra thermique, reconnaissance faciale)… Cependant, comme nous l’explique Philippe Bourgeois, Responsable de l’accompagnement des entrepreneurs du secteur Internet chez Neuflize OBC, le secteur a aussi connu des soubresauts.

Dans un contexte de crise, le secteur des nouvelles technologies semble avoir été resilient au premier semestre 2020. qu’en pensez-vous ?

La crise sanitaire a fait émerger de nouveaux comportements. Ils ont été accentués par les dispositifs imposés pour respecter les contraintes sanitaires, la distanciation physique et la généralisation du télétravail, notamment. Pour les entreprises françaises de la new-tech, l’enjeu a été d’identifier l’évolution des comportements et les dispositifs pérennes pour adapter leur offre aux nouvelles attentes. Cependant, l’intensité de l’impact de la crise a été différente selon le domaine d’activité.
 
Certaines entreprises ont subi de plein fouet la crise. C’est le cas, par exemple, d’opérateurs spécialisés sur des verticales très impactées comme le voyage, avec par exemple Evaneos, un site « pure player » dans le tourisme. La société a dû faire face à l’interruption brutale des demandes de clients confinés et à la chute de l’offre des transporteurs ou des tour-opérateurs. Le coup d’arrêt a également été brutal pour certains acteurs dans le domaine du e-marketing. En effet, de nombreux e-marchands ont subi une rupture d’approvisionnement de produits provenant d’Asie et principalement de Chine. Les annonceurs ont, de ce fait, coupé la plupart de leurs investissements publicitaires. Heureusement certains sites éditoriaux ont réussi à développer fortement leur audience dans cette période délicate, gage d’une potentielle reprise lorsque la monétisation sera revenue.
 
Quelques acteurs spécialisés du e-commerce ont bien tiré leur épingle du jeu. Par exemple, les places de marchés (et les prestataires technologiques autour de ce segment) ont connu une forte croissance pendant cette période. Ils ont connu une évolution plutôt contracyclique par rapport à la crise. C’est le cas d’entreprise comme Mirakl (Cette dernière vient d’ailleurs de boucler une levée de fonds de 300 millions d’euros, valorisant ainsi l’entreprise à 1,5 milliard), ainsi que d’opérateurs plus modestes comme  Neteven.
 
Parmi les bénéficiaires de la crise sanitaire, on peut aussi mentionner le secteur de la cyber-sécurité, dopée par la mise en place des procédures d’échanges de data à distance et certaines progressions d’audiences de sites éditoriaux. En effet, les sites spécialisés sur des verticales porteuses (santé), d’infotainment, et quelques généralistes, ont vu leur audience croitre de manière impressionnante pendant le confinement. Cependant, la monétisation des contenus n’a souvent pas suivi la même courbe de progression, voire même régressé, du fait d’annulation ou report de campagnes publicitaires, de salons, d’évènements et d’autres opérations spéciales.
 
A noter que certains distributeurs de contenus numériques BtoBtoC, qui plus est sur un modèle de revenus majoritairement assimilable à de l’abonnement (comme Cafeyn, anciennement LeKiosque.fr) ont extrêmement bien résisté.
 
De son côté, le conseil et l’accompagnement de la transformation numérique reste un secteur majeur de la période actuelle. L’arrêt de certaines missions pour le compte de grandes entreprises et le gel des projets a pesé sur le secteur, même si depuis la fin du confinement une certaine forme de rattrapage s’opère et que de véritables opportunités se présentent. Les plus résistants ont été ceux positionnés sur une offre très qualitative, spécifique (ex : Théodo).
 
Quelles observations globales pouvez-vous faire sur la manière dont le secteur a géré la crise ?
En premier lieu, nous n’avons pas constaté de mouvement de panique. En effet, les acteurs des NTIC sont habitués aux évolutions très rapides et ils ont été très réactifs en matière d’organisation. Ainsi, on a vu des adaptations pratiques être mise en œuvre de manière quasi immédiate : télétravail, recours au chômage partiel, flexibilité fonctionnelle, etc…. Par ailleurs Le PGE (Prêt Garanti par l’État), en sécurisant leur trésorerie a permis de préserver leur forte capacité de réaction et donc de maintenir leur position sur leur marché.
 
Chez Neuflize OBC, nous nous sommes astreints, malgré l’engorgement des très nombreuses demandes de financement, à essayer de répondre aussi rapidement que possible aux clients. Nous avons notamment été présents pour les accompagner dans le financement de la crise (reports d’échéances ou recherche de financement). Pour d’autres clients notre accompagnement a revêtu une forme différente : il a davantage consisté à un rôle didactique en matière de « réalisme financier », et notamment modérer les messages génériques des Pouvoirs Publics. Nous avons bâti ensemble une demande calibrée, raisonnable, dans une convergence d’intérêts (sécuriser la pérennité des clients et/ou de nos encours de crédits existants). Hélas, nous avons aussi été obligés parfois de décliner certaines demandes en raison de leur inéligibilité au regard des critères usuels et prudentiels en matière d’octroi de crédit(capacité de remboursement avérée, ou non).

Quels seront, selon vous, les impacts de la crise sur le secteur et sur son organisation à long terme ?

Dans le secteur des nouvelles technologies, l’impact financier de la crise est inégal en fonction de la situation financière de l’entreprise. Si les sociétés peu endettées n’ont pas d’épée de Damoclès au-dessus de la tête à court terme, celles ayant fait l’objet d’un rachat par le biais d’un endettement (LBO) vont devoir créer rapidement les conditions de retour à une exploitation « normale », pour retrouver le plus rapidement possible le même niveau de rentabilité qu’avant la Covid-19. À défaut, elles seront contraintes d’effectuer de sévères coupes sombres dans leurs charges, et peut-être même de revoir l’échéancier de leur dette.
 
La richesse des entreprises du secteur technologique tenant principalement aux hommes, nous sommes sur des comptes d’exploitation où les charges sont surtout liées à la masse salariale, avec des profils souvent très spécialisés et experts (data, codage, analyse du trafic ou de l’audience…).
 
Déjà avant la crise, on observait une forte tension sur le marché des emplois qualifiés du numérique. Le personnel qualifié et performant entrant en concurrence avec les pays anglo-saxon très attractifs (US et UK). En effet, ceux-ci proposent souvent des salaires plus importants et présentent des projets très innovants sur des marchés matures. Cette tension du marché devrait perdurer ces prochaines années.

Quels sont les challenges à venir pour les acteurs des nouvelles technologies ?

L’enjeu des acteurs du numérique pour les prochains mois sera de trouver un juste équilibre entre une adaptation de charges immédiates de personnel (chômage technique, abandon des CDD) et la fidélisation des talents stratégiques pour sortir de la crise. En effet, la reprise sera probablement plus rapide dans le numérique que dans d’autres secteurs, notamment pour les grandes ESN (Entreprises de Services Numériques). Elles vont probablement retrouver un rythme d’activité plus normal dans les prochains mois. Les acteurs qui auront su fidéliser leurs ressources humaines, tout en ayant ajusté temporairement leurs charges, devraient sortir gagnantes.
 
D’un point de vue technologique, tous les acteurs, y compris publics, ont pris conscience de l’importance d’accélérer la partie infrastructure (réseaux/fibre/data/cloud) pour améliorer une certaine forme d’équité des usagers (accès universel à la couverture numérique) et préserver la souveraineté de notre économie numérique. Cela pourrait se faire notamment par le soutien d’acteurs indépendants à l’exemple d’OVH (cloud) ou Sipartech (fibre noire), ou par la création de consortiums.
 
Pour terminer, je souhaiterais saluer la remarquable réactivité et performance des acteurs indépendants du digital face à cet évènement Covid, hostile et inédit. Cela démontre encore une fois la grande valeur et l’énorme potentiel de notre écosystème du numérique français qui, je n’en doute pas, va faire naitre de cette éprouvante période un gisement d’opportunités.

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