
[Entretien] Philippe Allio, PDG de Briochin
Repreneur de Briochin en 2010, Philippe Allio a transformé la petite PME bretonne en une des plus belles marques française du secteur hygiène et cosmétiques naturels. Pour Prismes, il revient sur les secrets de sa réussite.
Vous êtes entré comme directeur commercial chez Briochin en 2003. À l’époque, l’entreprise était une belle endormie. Pourquoi avoir décidé de la racheter en 2010 ?
J’ai rapidement décelé le potentiel de cette petite marque délaissée au sein du groupe Harris-Briochin. Elle ne faisait que 300 000 euros de chiffre d’affaires mais possédait un savoir-faire historique dans la fabrication de produits d’entretien, notamment dans celle du savon noir. À cette époque, personne ne croyait au made in France, encore moins dans le secteur de l’hygiène-entretien. Mais j’ai pressenti que les consommateurs allaient revenir à des produits naturels, moins polluants et moins toxiques. En interne, les équipes étaient compétentes, les procédés de fabrication étaient opérationnels et il y avait une belle histoire d’entreprise, presque centenaire, à réinventer. Tous les ingrédients étaient réunis pour relancer cette pépite inexploitée auprès du grand public.
Vos produits sont aujourd’hui commercialisés dans les rayons de la grande distribution et ont été adoptés par 2 millions de foyers français. Comment expliquez-vous ce succès ?
Nous n’avons jamais mégoté sur la qualité des produits. Nous proposons aujourd’hui une centaine de références, dont 80 % sont labellisées Ecocert. Toutes les matières premières sont sélectionnées minutieusement, la fabrication se fait à chaud selon une recette ancestrale et nos fournisseurs sont locaux ou nationaux. Les flacons, par exemple, sont produits en Normandie, l’huile de lin utilisée pour nos savons est raffinée en France. C’est dans notre ADN et nos valeurs depuis toujours, et aujourd’hui notre positionnement, qui pouvait paraître ringard il y a dix ou quinze ans, séduit les consommateurs. J’aime à dire que nous sommes redevenus à la mode. L’entreprise va réaliser 36 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2020 et emploie 85 salariés.
Tous vos produits sont fabriqués dans votre atelier à Saint-Brandan, en Bretagne. Est-ce compliqué de faire du « made in France » ? Quels sont les résultats dont vous êtes le plus fier ?
Il y a des freins et notamment des lourdeurs administratives. Nous aimerions, par exemple, racheter un terrain à côté de notre usine pour augmenter nos capacités de production mais les délais sont très longs. Ces blocages ralentissent nos projets d’expansion et nous avons du louer un nouvel entrepôt de 6000m2 à 15 km de l’usine. Nos produits sont par ailleurs de 30 à 40 % plus chers que ceux de marques étrangères qui se sont engouffrées sur le marché de l’hygiène naturelle. C’est l’une des contraintes du made in France et les distributeurs ont parfois du mal à la comprendre. Mais le plus important pour moi, c’est la confiance du consommateur. Je ne me vois pas vendre des produits nocifs à la population et je me réjouis, à mon échelle, d’avoir pu contribuer à développer l’utilisation de produits aussi sains que performants dans les foyers français.
Votre marché est dominé par des multinationales comme Unilever ou Procter & Gamble. Comment affrontez-vous cette concurrence ?
C’est une concurrence à double tranchant. Elle est à la fois saine car les grandes marques nous ouvrent des portes. Le marché du savon noir s’est ainsi développé grâce à l’un de nos gros concurrents, qui a permis, par ses volumes de vente, de démocratiser ce produit. Mais elle nous fait également de l’ombre car nous n’avons pas les mêmes moyens que ces géants. Nous utilisons nos propres armes, en communiquant sur l’image vintage de nos produits, la transparence de nos process de fabrication et nos valeurs. Notre engagement sur la responsabilité sociale, le fait que nous payions nos impôts en France et que nous soyons à 100 % indépendants financièrement font partie des éléments qui donnent du sens à nos actions et qui nous différencient. Nous sommes la seule PME indépendante, non rattachée à un g roupe, dans le top 10 Français (produits d’entretien).
Vous visez 30 % de chiffre d’affaires à l’export d’ici à 2022. Quels marchés ciblez-vous ?
Principalement l’Asie, où nous sommes peu présents mais où le made in France, notamment en droguerie, a un fort potentiel. C’est d’ailleurs la prochaine étape de notre développement et nous nouons des partenariats avec des distributeurs sur place. Nous comptons également séduire la population asiatique avec notre nouvelle gamme de produits cosmétiques. Le challenge est élevé, j’espère que nous y arriverons, car aujourd’hui nos ventes à l’export ne représentent que 6 % de l’activité.
Si vous deviez revenir en arrière, que feriez-vous différemment ?
Je reprendrais l’entreprise quatre ou cinq ans plus tôt. J’ai été ralenti par la complexité de l’opération de rachat avec mon ancien patron-dirigeant. Je le regrette un peu, cela aurait permis à l’entreprise de grandir plus vite et d’avoir un coup d’avance supplémentaire.